Début des années 1970 :
Le Canard enchaîné est devenu une puissance redoutée du pouvoir en place. Ses révélations irritent les responsables politiques et il devient urgent d’identifier les sources d’information de ce palmipède incontrôlable. Sous la férule de Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, les Renseignements Généraux entament les manœuvres en rédigeant en juin 1972 un dossier sur l’hebdomadaire satirique, notamment sur ses collaborateurs et ses informateurs.
Truffé d’erreurs et ne révélant aucune source de renom, ce rapport déçoit Marcellin mais se trouvera publié quelques années plus tard, ce qui fera grincer des dents dans la presse puisque livrant à la curiosité publique la vie privée de journalistes.
La Direction de la surveillance du territoire s’implique aussi et organise des filatures des journalistes du Canard, notamment Claude Angeli, qui les déjoue et publie des photos des voitures suiveuses, dont les occupants sont des agents de la DST.
Et quand il s’agit d’écoutes téléphoniques, le même Angeli réussit, grâce à un informateur de la préfecture de police, à se procurer et à publier les transcriptions manuscrites des conversations, classées « secret défense » ! Peut-être aiguillé par Robert Galley, ministre de la Défense, Marcellin, avisé du futur déménagement du Canard au 173 rue Saint-Honoré, décide alors de tenter un gros coup : sonoriser les prochains bureaux du Canard. Nom de code de l’opération : « Palmes » !
L’affaire des micros est lancée et va finir en « Watergaffe », sorte de petit Watergate à la française. Dans le numéro 4859 paru le 11 décembre 2013, la rédaction du Canard enchaîné revient, 40 ans après, sur cette « histoire [qui] commence précisément à 22h15 le 3 décembre 1973 ». André Escaro, dessinateur et administrateur du Canard, passe devant l’immeuble du 173 en revenant du cinéma.
Il est intrigué par une lumière, au 3ème étage, insolite à cette heure et, sur place, surprend plusieurs « plombiers » en flagrant délit d’installation de micros. Ils décampent, en mode sauve qui peut, abandonnant le matériel sur place. Le scandale est énorme et trouve un grand retentissement à l’étranger.
Mais en France, le gouvernement nie en bloc : Pompidou parle de « farce », Messmer, le premier ministre, de « canular monté par les journalistes du Canard eux-mêmes » d’abord, puis il laisse entendre que la CIA ne serait pas étrangère à l’affaire ! Le Canard publie rapidement les noms des responsables et des plombiers de la DST et « pour la première fois de sa déjà longue histoire, porte plainte.
Il ne va pas être déçu. Avec méthode et application, les juges vont protéger les suspects, brouiller les pistes et pourrir la procédure […] Hubert Pinseau, un grand magistrat, laisse à la postérité une grande œuvre : son ordonnance de non-lieu […] La Cour de cassation le confirme: il n’y a pas d’affaire des micros, pas de plombiers, pas de coupables, rien. Après le désastre policier, la farce judiciaire. »
SP