Jean Galtier-Boissière (1891-1966), alors caporal, fonde, en juillet 1915, Le Crapouillot (petit mortier en argot militaire), véritable journal des tranchées (ce que n’est pas le Canard enchaîné, créé 2 mois plus tard, au domicile de Maurice et Jeanne Maréchal, Faubourg du Temple, à Paris). Pacifiste intégral, de gauche, anticommuniste, antiraciste et antinazi, à l’époque, Galtier-Boissière, alias le « Commodore », collabore au Canard d’avril 1934 à juillet 1937, y apportant son talent de polémiste et son côté « fort en gueule ».
Dans un article paru dans ce numéro 976 du 13 mars 1935 – alors que la durée du service militaire est portée de 1 à 2 ans – il dénonce « la manipulation de l’opinion française, à travers la presse, par 2 puissances : les munitionnaires et l’état-major. Car, – étonnant paradoxe – l’Internationale de l’Industrie de Guerre est alliée – chez nous comme dans chaque pays – aux professionnels du patriotisme et aux spécialistes de la Défense nationale ». Les « professionnels du patriotisme » désignent les journalistes, artistes, écrivains… prêtant leur concours à la mobilisation des esprits pour la guerre. « Les spécialistes de la défense nationale » sont les militaires, espérant une nouvelle guerre leur permettant de se mettre en valeur. Quant à « l’Industrie de Guerre », elle est symbolisée par « la sacrée trinité de Wendel – Schneider – Théodore Laurent [tous membres] du tout-puissant Comité des Forges ». Ce qui est reproché à ces munitionnaires, c’est de se rendre coupables de trahison en même temps que d’homicide, car, non contents de dresser le peuple français contre le peuple allemand, ils possèdent des intérêts en Allemagne et vendent à ce pays du matériel militaire qui lui fait défaut.
La suite de l’article transpire le mépris et la colère qu’éprouve l’ancien combattant qu’il fut pour l’État-major français: « le plus ahurissant, c’est de voir le crédit que semblent encore accorder certains ci-devant poilus à tous les généraux Ramollot, Ronchonnot et Duconneau de la dernière guéguerre […] Les anciens combattants ont-ils vraiment oublié l’incommensurable sottise de notre Etat-Major d’avant-guerre, refusant l’artillerie lourde et les mitrailleuses, écartant l’aviation, prônant la baïonnette, ignorant l’A.B.C. de son métier; puis, la guerre déclarée, lançant les fantassins en pantalons rouges, musique en tête, sur les fils de fer barbelés et faisant massacrer par sa criminelle incapacité 300 000 soldats d’active pendant le premier mois de la guerre ? ».
Il poursuit : « Mangin n’écrivait-il pas : en France, nous sommes toujours d’une guerre en retard. En 1914, l’État-major préparait la guerre de 1870 […] Et le grand public, incurable gogo, continue à faire confiance à toutes ces badernes périmées ». Il conclut l’article en évoquant, ironiquement, l’âge du maréchal Pétain, né en 1856, encore ministre de la Guerre jusqu’en novembre 1934.
Il ne pouvait pas se douter, qu’après la débâcle de mai/juin 1940, ce dernier deviendrait, le 11 juillet, « chef de l’État français », à 84 ans…
SP