Né une première fois le 10 septembre 1915 pour 5 numéros, ressuscité le 5 juillet 1916, Le Canard enchaîné, grand pourfendeur de la propagande officielle, des fatuités patriotardes des bourreurs de crâne, des embusqués va-t-en guerre, caviardé par la censure, grandit sous un déluge de plomb et d’obus. La « Grande Guerre » a coûté la vie de 1,7 millions de français.
Aussi, dans ce numéro 124 paru le 13 novembre 1918, 2 jours après l’armistice, l’hebdomadaire satirique, pacifiste et frondeur ne peut qu’exprimer son soulagement en une : OUF !
Son éditorial rend hommage à nos soldats : Et d’abord, honneur aux poilus ! Honneur aux nobles et bons bougres qui, pendant des mois, des années – ceux du moins qui ont duré tout le temps – ont montré tant d’admirable abnégation. Pour les adjectifs laudatifs et les tirades hyperboliques, consultez les gazettes professionnelles, dans lesquelles on vous f….. des qualificatifs comme si ça ne coûtait rien. Mais pour ce qui est de ce qui doit être, de la vérité et non pas du bluff, écoutez, bonnes gens, écoutez ce que dit votre cœur. Il n’emploie pas de grands mots, celui-là, il ne fait pas de discours comme on en fait devant les statues, mais il ne saurait se tromper : « C’en est fini de tant de misères », vous dit-il. Enfin, enfin, enfin ! .
Le Canard sort de la première guerre mondiale en revendiquant 40 000 lecteurs. Mais les temps sont durs et Le Canard enchaîné ne l’est pas avec une chaîne en or, car il l’eût immédiatement portée à la Banque de France. Aussi, dans ce même numéro, il annonce une hausse de son prix de vente de 10 à 15 centimes : Car, si les boches ont signé l’Armistice, LES MERCANTIS, EUX, NE DÉSARMENT PAS !
Sans recettes publicitaires et face à la hausse générale des prix, notamment celle du papier, l’hebdomadaire est donc contraint de passer de 2 à 3 sous (soit l’équivalent de 30 centimes d’euros aujourd’hui) tout en restant confiant : Nous sommes convaincus que pas un seul de nos lecteurs ne manquera à l’appel. Bien au contraire, nous comptons que tous nos amis auront à cœur de continuer plus que jamais, autour d’eux, cette magnifique réclame parlée qui a fait du Canard enchaîné le plus important, peut-être, de tous les journaux hebdomadaires. Ainsi soit-il !
De facto, malgré la concurrence du Merle blanc jusqu’en 1927, Le Canard gagnera des lecteurs (150 000 en 1923) tout en augmentant encore son prix de vente : 25 centimes en juin 1920, 40 centimes en juillet 1925, puis 50 centimes en septembre 1926.
SP