16 octobre 1984, 21 heures. 4 heures après le signalement de sa disparition par sa mère Christine, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, est retrouvé à Docelles (Vosges), dans l’eau de la Vologne, à ~ 7 km du domicile familial de Lépanges-sur-Vologne. Ses jambes et ses mains sont entravées par une mince cordelette. La mort de cet enfant suscite une grande et légitime émotion dans le pays, mais provoque aussi un emballement médiatique démesuré.
Dans ce numéro 3364 du Canard enchaîné du 17 avril 1985, après 7 mois d’errance de l’enquête du juge d’instruction Jean-Michel Lambert, de mystères (les lettres anonymes du ou des corbeaux), de rebondissements et de drames (l’assassinat le 29 mars 1985 de Bernard Laroche par son cousin germain Jean-Marie Villemin, le père de Grégory), Georges Marion dresse le sinistre bilan d’une certaine presse de caniveau, qui rivalise d’ignominie, de vulgarité, de manipulation et de trucage: « Les journaux à sensation sont à la fête depuis six mois.
De l’affaire Grégory, fait divers horrible, ils font leurs choux gras et même obèses. Il y a des décennies que ce qu’il est convenu d’appeler la « grande presse » n’avait pas eu à se mettre sous la plume un feuilleton criminel aussi palpitant. « Ça me rappelle l’affaire Dominici », disent les vieux de la vieille ». Et comme « jour après jour, semaine après semaine, quotidiens et hebdomadaires qui « couvrent » cette histoire se vendent comme des petits pains », il en résulte « une sordide bagarre dans laquelle tous les coups sont permis ». Marion égrène les exemples: « Certains journalistes se font passer pour des policiers, pour abusivement faire parler des témoins. D’autres, moins camouflés mais tout aussi vicelards, ont profité des interviews pour voler les albums de photos des familles Villemin et Laroche. Au lendemain des obsèques du petit Grégory, un photographe particulièrement gonflé a dévissé le médaillon d’émail fixé sur la tombe de l’enfant ». S’agissant alors de l’unique photo de Grégory, « l’astucieux dévisseur, ravi et sans vergogne, a ainsi réalisé un scoop ». Autre « preuve de tact: un journaliste qui achète des jouets pendant les fêtes de Noël pour faire poser les parents Villemin devant la tombe de leur enfant, en tenant dans leurs bras les cadeaux qu’ils auraient pu lui offrir ». Conclusion: « un abominable pastis journalistique ».
A l’approche du 40ème anniversaire du décès de Grégory, l’instruction est toujours en cours et fait l’objet de nouvelles investigations depuis 2017, alimentant l’espoir, toutefois de plus en plus ténu, que les progrès scientifiques (stylométrie, nouvelles comparaisons ADN, analyse des enregistrements du corbeau) permettent de faire parler d’anciennes pièces à conviction…
SP