« Mais enfin, pourquoi vous obstinez-vous à vous appeler Canard Enchaîné ? Il n’y a plus de censure ». Si le Canard s’était effectivement « déchainé » du 15 octobre 1919 (No 172) au 28 avril 1920 (No 200), il avait vite repris son titre, avec clairvoyance, « se doutant bien, parbleu ! que cette liberté apparente n’était pas du cousu main, et que les temps difficiles reviendraient ».
C’est le cas avec le décret du 27 août 1939, qui rétablit la censure, pour de nombreux secteurs : presse écrite, radio, cinéma, théâtre, publicité, chansons… Elle relève du Commissariat général à l’information, créé le 29 juillet 1939, dont la Direction de la presse et du contrôle est confiée à l’écrivain Jean Giraudoux, cornaqué cependant par les militaires du 2ème Bureau.
Comme sa devancière en 1914-1919, davantage peut-être, la censure de 1939-1940 fut injuste, arbitraire et incohérente. Elle « caviarda » toute appréciation pouvant porter atteinte au moral de la nation et toute expression d’un sentiment pacifiste. Pour le Canard, les échos politiques étaient particulièrement visés, et, à partir du No 1209 du 30 août 1939, il parut avec des coupures (des blancs) plus ou moins importantes. Contrairement à la règle qui voulait que les articles censurés soient remplacés, le Canard laissa des blancs dans ses colonnes, jusqu’à l’arrêt de sa publication le 5 juin 1940. Cependant, à compter de novembre 1939, il les orna soit de caricatures d’Anastasie avec ses ciseaux, soit de dessins ou de commentaires ironiques.
Ainsi en est-il dans ce No 1221 du 22 novembre 1939, avec le « Menu continental : caviar, beurre blanc, blanquette, et blanc de blanc ».
SP