« Causez, causez, ô président… » Après le « changement », le changement de disque – par André Ribaud – Après la mort, pendant son mandat, de Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République, le 19 mai 1974, avec 50,81% des suffrages exprimés – le score le plus étriqué de la Vème République – face à François Mitterrand. Dans ce numéro 2813 du Canard enchaîné du 25 septembre 1974, André Ribaud (alias Roger Fressoz, le directeur de l’hebdomadaire satirique) écrit un article particulièrement sagace et prémonitoire sur ce que sera ce septennat : « Fin du bel été. Voici le sinistre automne. Hier encore, on chantait le « changement ». »
Aujourd’hui, on somme ou on supplie Giscard de changer de « changement ». Hier les fifres et les hautbois de la majorité nouvelle célébraient à l’envi le charme disert du giscardisme, son réformisme espiègle, captieux, futé, son modernisme allègre, relax, ses senteurs de jacinthe, d’anémone ou d’eau-de-rose, son style gosse-de-riche-mais-soucieux-du-sort-des-pauvres, son allure enfant-gâté mais-conscient-des-devoirs-que-la-chance-lui-impose […]
Dans la France oasis de paix, de calme, de prospérité, chaque français était invité à s’écrier comme dans Corneille: « cet heureux changement rend mon bonheur parfait ». Mais déjà les bourrasques de l’inflation balaient les douces brises du giscardisme, les tempêtes de sable pétrolier défrise les beaux palmiers de l’oasis, Giscard était marchand de poudre aux yeux. Les coups de vent vont le ruiner ».
Effectivement, ce septennat coïncide avec la fin des 30 glorieuses (5,4% de croissance moyenne du PIB entre 1950 et 1973) et sera marqué par des politiques économiques d’austérité, menées par le « meilleur économiste de France » proclamé, Raymond Barre (successeur de Jacques Chirac fin août 1976 à Matignon), dans un contexte macroéconomique dégradé, notamment par le 1er choc pétrolier et la fin du système monétaire de Bretton Woods. La France entre en récession (- 1% de PIB en 1975) et l’inflation explose (13,7% en 1974). Surtout, la France quitte le plein-emploi et voit le chômage augmenter sans cesse, avec la barre du million de chômeurs franchie pour la 1ère fois en 1977. Malgré le développement de grands projets industriels (centrales nucléaires, TGV…), le processus de désindustrialisation est enclenché : des pans entiers du textile, de la métallurgie / sidérurgie tombent et les plus de 55 ans sont expédiés en préretraite.
La dépénalisation de l’IVG, la majorité à 18 ans ou la création du Système Monétaire Européen ne suffiront pas à sauver le bilan de ce septennat, marqué par les frasques présidentielles (chasses, châteaux…), les afféteries diverses (prétention aristocratique, style hautain, dédaigneux, méprisant, fausse proximité avec les Français sur fond d’accordéon), trop de cadavres (Louis de Broglie et Robert Boulin notamment) et trop d’affaires, l’ultime étant celle des diamants de Bokassa.
Le septennat s’achève par la revanche de Mitterrand le 10 mai 1981 et un grandiloquent « au revoir », heureusement définitif, véritable chant du départ…
SP