Dans le numéro 1249 du 5 juin 1940,
le Canard enchaîné s’excuse auprès de ses lecteurs : « En application de la nouvelle réglementation et contre notre volonté, nous paraissons encore cette semaine sur deux pages ». En effet, la semaine précédente, le palmipède avait déjà dû se plier à une directive de l’Union des Syndicats de la Presse périodique française, en date du 23 mai, réduisant momentanément de 50% le format, le nombre de pages ou la périodicité des publications périodiques, dans le but de réaliser des économies de papier et d’alléger les transports.
« Mais déjà nous prenons nos dispositions pour leur offrir, à bref délai, dans la limite des possibilités, une meilleure présentation du Canard ». Nous ne saurons jamais quelles auraient été ces dispositions (trouver le papier nécessaire à une édition normale, ou changer la mise en page ?) puisque ce numéro 1249 sera le dernier publié avant l’occupation (l’armée allemande entre dans Paris le 14 juin). Le « bref délai » va durer 4 ans et 3 mois (le numéro 1250 paraissant le 6 septembre 1944). Une page d’un quart de siècle d’histoire du Canard se tourne…
Maurice et Jeanne Maréchal doivent quitter Paris pour Clermont-Ferrand, en zone libre, emportant les documents administratifs et comptables les plus récents. Mais que sont devenues les 25 années d’archives de l’hebdomadaire satirique ? Maréchal les a-t-il détruites ou ont-elles été pillées par les Allemands, comme ce fut le cas pour le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière ?
Dans la capitale auvergnate, où se bousculent 180 000 réfugiés, Maréchal retrouve plusieurs collaborateurs (Henri Monier, Pierre Bénard, Roger Salardenne, Jean Effel, André Sauger, Martial Bourgeon notamment) mais il doit cependant vite renoncer à son rêve de faire reparaître le Canard, faute d’argent et de soutien. Le couple Maréchal part alors pour Magny-sur-Yonne, où il possède une maison, puis arrive finalement à Vichy. Atteint d’un cancer, c’est dans un hôtel de cette ville que le fondateur et directeur du Canard meurt le 15 février 1942.
« Mais il est mort confiant de ne pas disparaître tout à fait, puisqu’il avait gardé la certitude que le journal qu’il avait fondé lui survivrait. Ce journal, c’était son esprit. S’il n’écrivait pas tous les articles, il les inspirait tous », écrit Pierre Bénard, le rédacteur en chef, le 6 septembre 1944, dans son hommage.
Effectivement, Jeanne prit en main les destinées de l’hebdomadaire à la libération, créant en 1946 la société anonyme « Les Editions Maréchal-Le Canard enchaîné », exploitant encore le titre aujourd’hui et propriété de ses journalistes les plus éminents.
SP