Septembre 1985 :
le laboratoire vétérinaire du secrétariat d’État britannique de l’Agriculture signale l’apparition d’une maladie nouvelle, aux symptômes étranges sur des bovins, identifiée, en novembre 1986, comme l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Cette maladie, analogue à celle des ovins (« tremblante du mouton ») et des caprins, est une maladie mortelle, causée par une protéine-prion, provoquant une infection dégénérative du système nerveux central des bovins, dont le stade ultime se traduit par des troubles graves de locomotion et des pertes d’équilibre. D’où le nom – familier – de « maladie de la vache folle ». Elle trouve son origine dans les farines d’origine animale, fabriquées à partir de déchets d’abattoirs et de cadavres d’animaux ramassés en ferme. L’`utilisation de ces farines animales dans l’alimentation des bovins existe depuis la fin du XIXe siècle et s’intensifie dans les années 1950 avec le développement d’une agriculture productiviste. Le processus de leur fabrication utilise des hautes températures de stérilisation et une étape d’extraction des graisses par solvants organiques permettant – sans que personne le soupçonne – de détruire le prion. Mais des techniciens britanniques décident d’abord d’abaisser la température et la durée de dessiccation de ces farines, puis d’éliminer purement et simplement cette étape d’extraction des graisses pour accroître la rentabilité économique.
C’est cette logique productiviste et mercantile que dénonce le Canard enchaîné dans ce numéro 3936 du 3 avril 1996 : « Il y a une dizaine d’années, le lobby des producteurs d’aliments pour bétail a obtenu de ne plus être contrôlé par la direction de l’agriculture, mais par celle de l’industrie. Ah bon, pourquoi ? ».
L’affaire tourne à la panique quand des scientifiques révèlent des cas de transmission à l’homme, avec une variante humaine de l’ESB : la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L’article se fait l’écho de cette inquiétude: « La starlette qui craint aujourd’hui de s’être fait injecter du collagène d’origine bovine pour avoir des lèvres pulpeuses, la mamie qui se demande si son plat de tripes ne va pas rendre fou son retraité de mari, et le haut fonctionnaire de la Direction de l’agriculture à Bruxelles qui dit, en privé, au Canard « on en a marre de payer des primes pour des animaux sans savoir ce qu’ils bouffent », tous ces braves gens ont de bonnes raisons de s’inquiéter ».
L’épidémie fut finalement enrayée après de vastes campagnes d’abattage, tant prophylactiques que systématiques, de troupeaux entiers (« toutes les vaches n’étaient pas malades mais toutes ont fini en bouillie à l’équarrissage, avant d’être incinérées ») et l’interdiction des farines animales, notamment. Mais la filière connut une grave crise économique (chute de la consommation de viande, embargos…). Elle contribua cependant à améliorer les pratiques en abattoir, à avoir une meilleure traçabilité des produits bovins et à renforcer le principe de précaution.
On estime que la maladie fit environ 223 victimes humaines dans le monde, dont 177 au Royaume-Uni et 27 en France. Bilan provisoire car le temps d’incubation de cette maladie est long.
« La crise de la vache folle » ? Plutôt « des vaches malades de la folie des hommes »…
SP