N° 882 du Canard Enchaîné – 24 Mai 1933
N° 882 du Canard Enchaîné – 24 Mai 1933
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Le mot d’ordre est désormais… pommade in Germany
Le 24 mai 1933, Le Canard enchaîné se paie le double luxe d’être interdit en Allemagne… et de ridiculiser les marchands de canons français. Dans Le désappointement au Creusot, les usines Schneider se lamentent : Hitler aurait “parlé de paix” ! Catastrophe pour les actionnaires. Télégrammes imaginaires, cynisme industriel et complicité parlementaire : Drégerin démonte la mécanique du profit sur fond de guerre annoncée. En quelques lignes, Le Canard résume 1933 : les dictatures musèlent la presse, les industriels guettent la prochaine commande, et les pacifistes — eux — font rire pour ne pas se taire.
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Hitler trop tiède, le Creusot déçu : le Canard interdit en Allemagne
Le 24 mai 1933, Le Canard enchaîné publie en première page deux billets d’une efficacité redoutable : l’un signé Le désappointement au Creusot, l’autre simplement titré Interdit !. Deux textes jumeaux qui, ensemble, dessinent un tableau d’époque saisissant : d’un côté, la France industrielle pleure un Hitler trop pacifique ; de l’autre, le régime nazi interdit Le Canard enchaîné.
C’est la même satire à double tranchant : Rivet et ses confrères y montrent la compromission rampante des milieux d’affaires français, tout en saluant à demi-mot l’honneur d’être proscrit par la dictature.
Quand Hitler déçoit les usines Schneider
Sous le titre Le désappointement au Creusot, Le Canard imagine le désarroi des dirigeants du groupe Schneider, géant de l’armement français, à la suite du discours “modéré” prononcé par Hitler à Berlin quelques jours plus tôt.
Ce 17 mai 1933, en effet, le Führer — encore en phase de consolidation de son pouvoir — s’adresse au Reichstag pour annoncer sa volonté de paix et de coopération internationale. Un discours calculé, destiné à rassurer les chancelleries européennes et à se donner une façade de respectabilité diplomatique.
Mais au Canard, on feint de prendre ce ton apaisé au sérieux pour mieux le tourner en dérision.
« Que le bel Adolf, se voyant lâché par le président Roosevelt, ait eu les foies, c’est possible, c’est même probable. »
L’ironie fuse : Hitler en “Adolf pacifiste” ? Une farce à usage interne.
Pour les industriels du Creusot — qu’on imagine ici comme une confrérie de marchands de canons en apnée — c’est une catastrophe. Le journal invente un “Conseil d’administration” pris de panique devant la perspective d’un Führer tiède.
« Ce n’est plus du fair play, a apprécié un autre. »
La satire vise directement Eugène Schneider, président du conseil d’administration des Forges et Ateliers du Creusot, symbole du capitalisme militaro-national. Drégerin et ses confrères caricaturent ces patrons du “bloc des forges” en rentiers du désordre mondial, pour qui la guerre est non pas une tragédie, mais une opportunité économique.
Une lettre imaginaire à “Cher Adolf”
Le Canard pousse la moquerie jusqu’à simuler un télégramme envoyé par le conseil d’administration des usines Schneider à Hitler :
« Cher Adolf,
Sommes mécontents de votre discours. Étions en droit d’espérer déclarations belliqueuses, comme d’habitude. Qu’allons-nous devenir ? »
Suit une proposition cynique : publier dans la presse “un rapport confidentiel” affirmant l’existence de “plusieurs milliers de canons, sous-marins et avions allemands dissimulés dans des caves” — bref, inventer une menace pour relancer les commandes.
Cette fausse correspondance, d’un humour noir exemplaire, dévoile l’engrenage infernal de la course aux armements : la peur alimente le profit, et le profit appelle la peur.
Rivet — ou peut-être Drégerin, car le texte n’est pas signé — manie ici la satire économique avec une précision chirurgicale. Derrière la caricature, le propos est limpide : la paix est mauvaise pour les affaires. L’antimilitarisme du Canard, né dans les tranchées de 1916, reste plus que jamais vivant.
Victor Bataille, député de Saône-et-Loire : le complice utile
L’article épingle aussi, nommément, le député Victor Bataille, chargé “d’interpeller M. Daladier sur les mesures que le gouvernement compte prendre pour assurer la continuité de la politique hitlérienne et protéger l’industrie lourde.”
L’allusion est assassine. Daladier, alors ministre de la Guerre, est réputé pour sa prudence, mais le Canard le soupçonne — à raison — de trop ménager les industriels. Quant à Bataille, élu du fief du Creusot, il incarne cette collusion entre la représentation nationale et le lobby de l’armement.
Le rire du Canard est ici une arme politique : il démasque les relais français d’un militarisme qui ne dit pas son nom.
“Interdit en Allemagne” : un insigne d’honneur
Sous le billet principal, un encadré bref, sec, triomphal :
« Les Messageries Hachette nous informent que, par ordre du gouvernement hitlérien, Le Canard enchaîné est interdit en Allemagne. »
La réaction du journal est immédiate et mordante :
« Nous remercions M. André-François Poncet, ambassadeur de France à Berlin, de la démarche qu’il n’a pas faite aussitôt. »
L’interdiction devient ici médaille. En mai 1933, Hitler vient d’instaurer la censure totale outre-Rhin, brûle les livres jugés “dégénérés” et interdit les journaux étrangers trop critiques. Pour Le Canard, être proscrit par un régime autoritaire est la meilleure preuve d’indépendance.
Dans le contexte français, où certaines feuilles se montrent déjà accommodantes avec le nouveau pouvoir allemand, ce rappel est précieux : Le Canard enchaîné n’est pas du côté des “bons clients” d’Hitler.
Mai 1933 : rire sous la menace
Ces deux billets, d’une ironie ciselée, paraissent à un moment charnière. Tandis qu’en Allemagne, les nazis interdisent les syndicats et brûlent la presse libre, la France observe avec une inquiétude tiède.
Le Canard n’attend pas pour s’indigner. En raillant à la fois Hitler et les profiteurs français de son militarisme, il prend position : contre la lâcheté des chancelleries, contre la connivence des industriels, et contre la résignation du public.
Ce 24 mai 1933, le “désappointement du Creusot” devient une parabole : la guerre commence toujours par la peur de manquer d’affaires, et la paix par l’interdiction des journaux qui la défendent.





