N° 883 du Canard Enchaîné – 31 Mai 1933
N° 883 du Canard Enchaîné – 31 Mai 1933
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C’est Benoist qui touche, mais… c’est le jury qui acquitte
Le 31 mai 1933, Le Canard enchaîné célèbre trop vite la condamnation d’André Benoist, ancien directeur de la Police judiciaire. Quelques lignes plus tard, un post-scriptum ironique annonce son acquittement. Dans La Mare aux canards, le journal déroule la farce judiciaire : caisses occultes, avocats de salon, ministres inquiets et jurés “compatissants”. Tout Paris judiciaire y passe. En 1933, la République s’enfonce dans le soupçon, et Le Canard rit jaune : la justice des puissants, elle, ne se trompe jamais — elle s’arrange.
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Quand “justice est faite”... avant l’acquittement : le Canard au cœur du scandale Benoist
Le 31 mai 1933, Le Canard enchaîné publie en une un billet au ton triomphal : « Justice est faite ». Quelques lignes plus bas, un post-scriptum désamorce tout :
« Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que M. Benoist a été acquitté. Nous n’avons pas le temps matériel de faire un autre article. Nos lecteurs nous excuseront et rectifieront d’eux-mêmes. »
Ce retournement est d’une ironie parfaite. L’affaire André Benoist — du nom d’un ancien directeur de la Police judiciaire poursuivi pour malversations — devient sous la plume du Canard un miroir grotesque de la justice française : précipitée, complaisante, et surtout, à géométrie variable selon la position sociale de l’accusé.
Un “voyeur du poteau d’exécution”
Dans le premier texte, Le Canard ne mâche pas ses mots :
« M. André Benoist, malgré les références de premier ordre dont il a pu exciper — ancien directeur de la Police judiciaire, pourvoyeur du poteau d’exécution et du bagne — a été condamné au maximum. »
Le portrait est féroce. Benoist, présenté comme un “voyeur professionnel de la répression”, incarne la France des appareils répressifs, de ceux qui, par zèle ou par orgueil, s’identifient à la toute-puissance de l’État. Voir cet homme rattrapé par la justice semblait donc un signe de rédemption nationale.
Mais à peine cette “victoire morale” saluée, le couperet du réel tombe : Benoist est acquitté. La chute du billet, cinglante, résume le sentiment de lassitude et d’amertume d’une opinion publique habituée à voir les puissants s’en tirer : la justice populaire n’a décidément pas la même mesure que celle des tribunaux.
La farce judiciaire mise à nu
Le Canard se rattrape en page 2, dans La Mare aux canards, avec un long texte intitulé « M. André Benoist, honnête homme ». Le titre, évidemment ironique, joue sur le contraste entre le verdict d’acquittement et les soupçons persistants qui pèsent sur l’ancien policier.
« M. André Benoist est un honnête homme, un vrai de vrai honnête homme. Tel est du moins l’avis des jurés de la Seine. »
Le ton est moqueur, faussement respectueux : Le Canard cite la formule comme on récite une farce. Le journal se livre à une autopsie minutieuse du procès, révélant un enchevêtrement de complicités, de renvois d’ascenseur et d’hypocrisie ministérielle.
Le réseau Benoist : police, justice et finances
Benoist, nous apprend le journal, avait fondé une sorte de “caisse des services payés” au sein même de la Police judiciaire, alimentée par les milieux financiers et industriels “qui ont requis les bons offices du quai des Orfèvres”. On y retrouvait, selon Le Canard, des dons de la Banque de France, du ministère des Finances, et même de la B.N.C. — bref, le cœur de la haute administration.
La description tourne au vaudeville :
« Cette caisse est entre les mains du directeur de la Police judiciaire. Mais elle est habituellement gérée par le directeur administratif, qui est, à l’heure actuelle, M. Barthélémy. »
L’“honnêteté” du fonctionnaire se mesure donc à la hauteur des versements. Le journal évoque aussi, avec gourmandise, “le beau billard de M. Campinchi”, l’avocat de Benoist, réputé pour ses tours de passe-passe judiciaires. La satire vise moins l’homme que le système : une justice pour initiés, où tout se joue entre le parquet, les ministères et les clubs de la rive droite.
Un parfum d’Oustric et de scandale politique
Le procès Benoist renvoie directement à une autre affaire retentissante : le scandale Oustric, du nom du banquier véreux dont la faillite en 1930 avait entraîné la chute du gouvernement Tardieu et éclaboussé plusieurs ministres, dont Paul Reynaud, alors garde des Sceaux.
Le Canard rappelle avec perfidie que Reynaud, craignant d’être accusé de partialité, avait d’abord tenté d’obtenir un non-lieu pour Benoist avant de se raviser, “de peur qu’on trouve qu’il jouait un rôle singulier dans les affaires Oustric”. Résultat : un procès maintenu pour la forme, mais vidé de toute substance.
Rivet, ou peut-être Bénard — la signature collective de la Mare aux canards rend la distinction incertaine — tisse ici une démonstration limpide : les institutions de la IIIᵉ République protègent leurs rouages, non leurs principes.
Le rire comme arme judiciaire
Au fil de l’article, le rire devient l’instrument d’une enquête. On rit de “ce brave Chéron”, magistrat qui “n’a jamais valu un sou”, on rit du parquet “trop prompt à se dégonfler”, on rit même des “jurés de la Seine” qui, dans leur unanimité, incarnent une justice de théâtre.
Mais sous la légèreté perce une colère froide. L’acquittement de Benoist symbolise la dérive d’un État où la morale publique n’existe plus que dans la bouche des satiristes. En 1933, tandis que les ligues d’extrême droite se préparent à exploiter la décomposition du régime, Le Canard enchaîné enregistre, à sa manière, l’effondrement de la confiance dans la République.
Le billet “Justice est faite”, suivi du rectificatif ironique, illustre cette désillusion : la vérité ne tient plus qu’à un post-scriptum.
1933 : une justice au bord du discrédit
Nous sommes en mai 1933 : les scandales financiers s’enchaînent (Oustric, Stavisky approche), la presse s’indigne ou se vend, et la frontière entre la police et le pouvoir devient poreuse.
Le Canard enchaîné reste, dans ce paysage, la seule voix capable de ridiculiser à la fois les truands, leurs protecteurs et les juges complices.
L’affaire Benoist n’est pas un épisode isolé : c’est un symptôme. Celui d’un pays où “l’honnête homme” est celui qui a su être acquitté.





