N° 909 du Canard Enchaîné – 29 Novembre 1933
N° 909 du Canard Enchaîné – 29 Novembre 1933
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Heureux pays !
Le 29 novembre 1933, R. Tréno transforme la vie politique en comédie de cirque : à l’Élysée, les ministres se tirent au sort dans une “loterie” présidée par Albert Lebrun.
Camille Chautemps, déjà plusieurs fois gagnant, rempile tandis que la foule s’écrie “Chiqué !”.
Sous le rire, Le Canard enchaîné dresse un constat désabusé : la Troisième République ne gouverne plus, elle brasse du vent.
Un mois avant Stavisky, Tréno signe un billet prémonitoire sur un pouvoir qui ne doit sa survie qu’au hasard — et à l’habitude.
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La “loterie ministérielle” : quand R. Tréno tire au sort les ministres de la République
Le 29 novembre 1933, Le Canard enchaîné consacre sa une à un spectacle devenu familier sous la Troisième République : la valse des ministères.
Sous la plume railleuse de R. Tréno, la crise gouvernementale devient un jeu de hasard : une “loterie ministérielle” organisée à l’Élysée, présidée par Albert Lebrun, où les “gagnants” du tirage s’appellent Daladier, Paul-Boncour, Sarraut, ou Chautemps.
Le titre donne le ton : « Le tirage de la 5e tranche de la Loterie ministérielle ».
Le numéro ne vise pas seulement à faire rire. Il dit l’épuisement d’un pays lassé de voir défiler, mois après mois, les mêmes visages au sommet de l’État.
Une comédie de la politique
Dès la première ligne, Tréno campe la scène comme un music-hall :
“Il y avait foule, dans la nuit de samedi à dimanche, au palais de l’Élysée où se faisait le tirage de la cinquième tranche de la Loterie ministérielle.”
L’humour du Canard repose sur un jeu de renversement : l’événement politique — la formation d’un nouveau gouvernement — est présenté comme un tirage au sort truqué, une mascarade démocratique.
Les ministres se succèdent comme des numéros de tombola :
“On se montrait notamment les heureux gagnants des quatre premières tranches : MM. Herriot, Paul-Boncour, Daladier et Sarraut.”
C’est une ironie qui touche juste. Depuis mai 1932, la France a déjà vu six gouvernements se succéder. Entre Herriot, Paul-Boncour, Daladier, Chautemps et Sarraut, les mêmes hommes se passent les portefeuilles dans un ballet d’instabilité chronique.
Pour Tréno, ce “tirage” n’est pas seulement une blague : c’est une radiographie du désarroi républicain. La politique n’apparaît plus comme un choix, mais comme un mécanisme aveugle, où la chance et les combinaisons remplacent les idées.
Chautemps, encore gagnant…
Le gag central repose sur Camille Chautemps, figure récurrente du radicalisme parlementaire, appelé pour la énième fois à la rescousse après la chute d’Albert Sarraut.
“Certains spectateurs se rappelaient en effet que M. Chautemps avait quatre fois déjà décroché un ministère lors des tirages précédents.”
Le public s’impatiente, les murmures montent : “Toujours les mêmes !” s’écrie Léon Meyer, autre radical bien connu.
Et lorsque le grand prix sort enfin de la “sphère”, le nom révélé provoque l’exaspération :
“Chiqué ! Chiqué ! crièrent des centaines de voix exaspérées.”
Par cette image d’un “tirage” truqué, Tréno fustige le retour perpétuel des mêmes figures usées, interchangeables, incapables de renouveler la direction du pays.
Dans ce jeu où les “gagnants” se confondent avec les “perdants”, la politique devient spectacle : un théâtre de dupes que la foule regarde avec un mélange d’ironie et de colère.
La France du dégoût
La “loterie ministérielle” renvoie à une réalité concrète : en novembre 1933, la Troisième République vit une crise chronique de gouvernance. Les coalitions se forment et se défont à une vitesse record, les scandales financiers éclatent en série (Oustric, Hanau, Nam-Kok, bientôt Stavisky).
La confiance dans le régime s’effrite.
Tréno le sait, et derrière la farce perce une angoisse politique : la République se délite sous les rires.
Le billet se conclut sur une note de fausse espérance :
“Espérons que ces incidents regrettables auront pour effet d’amener une révision sérieuse du fonctionnement des sphères.”
L’expression “révision des sphères” résume à merveille le ton du Canard : sous le jeu de mots (les “sphères” de la loterie et celles du pouvoir), une accusation directe contre le système clos de la politique parlementaire.
Un “À-propos” pour enterrer les illusions
Sous le premier texte, Tréno ajoute un court billet intitulé “À-propos”, qui reprend sur un ton encore plus sec les déclarations du nouveau président du Conseil, Camille Chautemps.
Le Canard cite ses mots creux :
“Le gouvernement n’aura qu’un but : le redressement des finances publiques et le maintien de la sécurité du pays…”
Et aussitôt, Tréno coupe court :
“Pourvu seulement qu’ils se transforment en essais !”
Le journaliste épingle cette langue morte, administrative, où la “volonté” sert de cache-misère à l’impuissance.
Les ministres promettent, les budgets dérapent, la dette publique enfle — et les contribuables paient.
Le billet glisse alors une pique qui résume tout :
“M. Marchandeau était tout désigné pour combler le puits du budget.”
Le “puits” des finances publiques est sans fond, et les ministres tombent dedans les uns après les autres.
Une satire lucide et prémonitoire
Derrière les rires, ce texte annonce la crise morale qui éclatera quelques semaines plus tard avec l’affaire Stavisky (janvier 1934).
L’instabilité politique, le cynisme des dirigeants et la perte de confiance du public forment déjà un cocktail explosif.
Tréno, en bon satiriste, ne prophétise pas la chute, mais la montre dans sa banalité : la République se meurt dans le ridicule de ses “tirages”.
Le Canard n’a jamais aussi bien incarné sa mission : dire la vérité à travers le rire.
En ridiculisant les hommes au pouvoir, il montre que le comique n’est plus une distance, mais un moyen de survie dans un pays qui ne croit plus à sa propre politique.
Un rire amer
Le 29 novembre 1933, les lecteurs du Canard rient encore — mais d’un rire grinçant.
La “loterie ministérielle” est une fable sur l’inutilité du changement dans une République figée.
Un mois avant que le scandale Stavisky ne fasse vaciller le régime, Tréno signe un texte d’une clairvoyance douloureuse : le pouvoir tourne à vide, et le peuple s’en amuse faute de mieux.





