N° 2915 du Canard Enchaîné – 8 Septembre 1976
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La confiance : elle a déjà reçu le coup de Barre
Septembre 1976 : Raymond Barre vient à peine de poser son cartable à Matignon que Le Canard dégonfle déjà le mythe du « meilleur économiste de France ». Dans un texte vachard, André Ribaud raconte comment la confiance des marchés, des médias et de l’Élysée a reçu son premier « coup de Barre ». Entre Zorro manqué, mayonnaise économique qui tourne et gouvernement coupé en deux, c’est tout le futur « barrisme » qui est déjà croqué au vitriol.
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La confiance, déjà chiffonnée par le « coup de Barre »
Barre à Matignon, c’est l’instant où la majorité giscardienne croit avoir trouvé son Pinay en blouse blanche : le « meilleur économiste français » descendu de sa chaire pour sauver le franc, l’inflation et la présidence tout ensemble. André Ribaud se charge, une quinzaine de jours seulement après sa nomination, de percer la baudruche.
Il raconte la scène comme une comédie financière : au simple bruit du nom de Barre, le franc se requinque, la Bourse frétille, les éditorialistes ronronnent. On a trouvé le « chevalier de l’austérité », un super-expert à la crème fraîche. Mais la magie dure moins d’une semaine. Dès que le nouveau Premier ministre ouvre la bouche, la « mayonnaise Barre » reçoit, dit Ribaud, « un sacré coup de vinaigrette ». Le franc replonge, la Bourse se dégonfle et l’euphorie médiatique perd deux tons.
Un Pinay au rabais
Le contexte est celui d’une France lessivée par le premier choc pétrolier : inflation à deux chiffres, chômage qui grimpe, franc fragile sur les marchés internationaux. Giscard, déjà abîmé par la crise et par sa guerre larvée avec Chirac, mise sur la figure rassurante du professeur d’économie. Barre arrive avec sa réputation de théoricien de la lutte contre l’inflation, ses manuels dans lesquels les étudiants apprennent la « bonne » politique économique.
Ribaud se moque justement de cette science en bibliothèques : l’économie, écrit-il en substance, va toujours mieux dans les livres que dans les usines et les foyers. Tous les gouvernements depuis cinquante ans ont promis « d’abattre l’inflation » ; elle se porte pourtant « très bien, merci, et même de mieux en mieux ». Barre ne fait que reprendre le vieux refrain, avec le ton docte du professeur qui explique la guerre à des conscrits.
Bernardo plutôt que Zorro
Au cœur de l’article, un petit chef-d’œuvre de cruauté bon enfant : Barre lui-même se compare à Zorro, venu défendre les Français contre le monstre inflationniste. Ribaud lui renvoie l’image à la figure : pas Zorro, mais « Bernardo-do », le serviteur muet qui fait les basses besognes tandis que le héros caracole. L’État se met, dit-on, « sur le pied de guerre » contre la hausse des prix, mais c’est surtout la communication qui gamberge.
Giscard, pendant ce temps-là, continue de jouer au chef suprême, multipliant les conseils restreints et les grands mots, tout en se gardant bien de s’exposer directement. Le professeur est là pour amortir les coups et donner une apparence de sérieux technocratique à une politique qui hésite entre rigueur, cadeaux fiscaux aux entreprises et bricolage monétaire.
Un gouvernement coupé en deux
Ribaud pointe aussi une bizarrerie institutionnelle : d’un côté, un gouvernement « technique » Barré, truffé de hauts fonctionnaires ; de l’autre, l’UDR giscardo-gaulliste sommée de soutenir tout ça sans trop comprendre. « Ce n’est plus un ministère, c’est une hydre », grince le Canard. On n’a pas réglé le problème de cohérence politique qui a fait tomber Chirac ; on l’a maquillé en croisade économique.
En filigrane, l’article montre que la vraie « confiance » déjà atteinte, ce n’est pas celle des marchés, mais celle de l’opinion. On a promis un sauveteur monétaire ; on découvre un professeur appliqué, qui annonce qu’il ne pourra commencer vraiment à gouverner qu’à la fin septembre, le temps de préparer son plan. Entre-temps, le franc tangue, les prix continuent de grimper et le sentiment de désordre persiste.
Un procès anticipé du « barrisme »
Ce texte de début septembre 1976 ressemble à un réquisitoire préventif contre tout ce qui va suivre : plans Barre successifs, austérité, blocage des salaires, chômage massif. Ribaud décèle déjà l’artifice : en habillant l’austérité de jargon économétrique, on espère faire oublier qu’il s’agit, une fois de plus, de faire payer la crise par les mêmes.
Et il conclut en imaginant le sort réservé au professeur le jour où Giscard décidera qu’il a assez servi : « Barre-toi, allez ! ». Autrement dit : dans cette histoire, la confiance ne sera jamais qu’un tampon, et le « coup de Barre » surtout un coup porté… au Barre lui-même.





