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Le Canard Enchaîné

« Il y a eu dans la guerre de 14-18 deux miracles,
celui de la Marne dû, comme on sait, à sainte Geneviève
et celui du Canard enchaîné » Henri Monier

Couac ! | L'histoire du Canard | « Il y a eu dans la guerre de 14-18 deux miracles,celui de la Marne dû, comme on sait, à sainte Genevièveet celui du Canard enchaîné » Henri Monier | canard troubs

1915 : Naissance
Hommes enchaînés et canards libres

L’année la plus meurtrière de la première guerre mondiale, pour la France, avec environ 350 000 soldats tués et d’autres milliers de blessés et de mutilés. Pourtant, une partie de la presse écrite française, faisant fi de cette hécatombe et laissant à croire que la guerre est franche et joyeuse,…

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…verse dans le patriotisme exalté, les mensonges et la propagande, allant jusqu’à proclamer que « les balles allemandes ne tuent pas, les obus allemands n’éclatent pas, les gaz asphyxiants ne font pas de mal, nos Poilus en parfument leurs mouchoirs ».

C’est dans ce contexte qu’un journaliste de 33 ans, Maurice Maréchal, décide de lancer un journal humoristique, satirique, pacifiste, anticlérical, insolent et frondeur, visant à lutter contre le bourrage des crânes, la censure, les va-t’en guerre, les combinards, les affairistes et les « embusqués », c’est à dire ceux qui, « du matin au soir hurlent à s’égosiller la Marseillaise », tout en ayant pris le plus grand soin à se tenir loin du carnage et de la boue des tranchées. Bref, des planqués, des pousse-au-crime, « grands pourfendeurs de boches à longue distance ».

Dans son entreprise, Maréchal s’est adjoint la collaboration d’un dessinateur connu, Henri-Paul Deyvaux-Gassier, 32 ans, rencontré au quotidien La Guerre sociale quelques années plus tôt, ainsi que celle d’un journaliste expérimenté, d’origine suisse, Victor Snell, 41 ans, ancien rédacteur à l’Humanité et ami de Jaurès. La gestation se fait au domicile de Maréchal et de sa femme, Jeanne, 129 Faubourg du Temple à Paris.

Le nouveau-né prend le nom de Canard Enchaîné.

Canard veut dire journal en argot mais aussi bobard, fausse nouvelle, dans une presse qui n’en manquait pas.

Enchaîné est une allusion au journal de Georges Clémenceau, l’Homme Libre, rebaptisé l’Homme Enchaîné, suite aux caviardages nombreux de la censure, Anastasie, omniprésente. La naissance officielle a lieu le vendredi 10 septembre 1915. Le journal compte 4 pages, coûte 10 centimes, « paraissant provisoirement les 10, 20 et 30 de chaque mois ».

C’est un prématuré, qui meurt le jeudi 4 novembre 1915, au cinquième numéro.

Lucide, Maréchal livre son analyse : mauvais papier, mauvais tirage, fragilité financière, retard dans la périodicité décadaire, caractère artisanal et défaut d’organisation.

Ce premier Canard n’a pas trouvé son public.

Cet article est une compilation des ouvrages indiqués sur la page bibliographie

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Résurrection : 1916
Une nouvelle mouture

Maréchal se remet à la tâche et élabore, en moins de 9 mois, une nouvelle mouture. Plus d’improvisation, ni de bricolage. Il constitue, au fur et à mesure, une solide équipe de rédacteurs (avec Georges de la Fouchardière, André Dahl, Rodolphe Bringer, Whip, René Buzelin…)…

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…et de dessinateurs (Lucien Laforge, Jules Depaquit, Paul Bour, Raoul Guérin).

Le journal se veut plus incisif, plus anticonformiste, tout en restant fidèle aux valeurs du fondateur et à ses combats : honnêteté, probité, intégrité morale, courage et esprit de justice, dénonciation des lâchetés, des postures et des hypocrisies, défense des pauvres, des humbles et de ceux qui se battent en première ligne.

Bref, un journal qui ne ménage aucun camp et distribue les coups en toute impartialité, usant d’ingéniosité pour déjouer une censure de plomb.

Mais cette liberté de ton, d’expression, cette indépendance rédactionnelle requièrent une totale indépendance financière. Aussi, le Canard s’interdit tout recours à la publicité, aux emprunts bancaires, aux subventions et à l’ouverture de son capital à des investisseurs extérieurs, susceptibles d’agir comme un fil à sa patte et d’aliéner sa liberté.

Cette indépendance reste l’obsession du Canard et en fait un cas unique dans la presse.

Le deuxième numéro 1 du Canard Enchaîné paraît le mercredi 5 juillet 1916 (point de départ de la numérotation actuelle). Un exemplaire qui ressemble beaucoup à son devancier de septembre 1915 : même format 44 x 33 cm, même pagination, quasiment le même éditorial et le même titre, enrichi de la devise « tu auras mes plumes, tu n’auras pas ma peau ». C’est toujours un journal humoristique (il ne se proclamera satirique qu’à partir de février 1925) mais devenu hebdomadaire, « paraissant tous les mercredis ».

Les rubriques se mettent en place, dont beaucoup existent toujours aujourd’hui, telles que « la Mare aux Canards », « A travers la presse déchaînée », « Petite correspondance » …

Un accord est signé avec Hachette pour élargir la diffusion du journal dans toute la France.

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1917/20 : Guerre et paix
Les nouvelles plumes du Canard

En plus de cette équipe rédactionnelle renforcée, des signatures prestigieuses rejoignent le Canard, de façon occasionnelle, comme Tristan Bernard, Roland Dorgelès, Paul Vaillant-Couturier ou Pierre Mac Orlan, contribuant à assoir sa réputation. Il gagne des lecteurs et compte environ 20%…

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…de poilus parmi ceux-ci, même s’il faut déjouer la méfiance des autorités militaires pour acheminer le journal au front (le reste du lectorat se répartit entre Paris, 40%, les Pays de la Loire, la région lyonnaise et la Normandie).

Car si le Canard est lu et prisé sur le front, ce n’est cependant pas un journal de tranchées, comme le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière, le Canard poilu ou le Canard des boyaux.

C’est un journal conçu à Paris, Maréchal et Gassier étant tous deux réformés, le premier pour malformation cardiaque et le second pour une forte myopie.

Le Canard a encore maille à partir avec la censure jusqu’à la fin de la guerre, certains numéros paraissant avec une première page à moitié blanche (exemple notoire du N° 16 du 6 septembre 1916). Un assouplissement est toutefois perceptible avec l’arrivée de Clémenceau à la Présidence du Conseil le 16 novembre 1917.

Son journal redevient d’ailleurs l’Homme libre, mais le Canard, méfiant, reste enchaîné.

La censure ne sera levée que le 12 octobre 1919, soit onze mois après l’armistice, salué d’un « ouf ! ». C’est le 15 octobre 1919 (N° 172) que le Canard se rebaptise en Canard « Déchaîné », jusqu’au 28 avril 1920 (N° 200 inclus), puis il redevient enchaîné, une bonne fois pour toutes.

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Les années (pas si) folles : 1921/29
Informer, dénoncer et amuser

Le Canard sort de la guerre en revendiquant 40 000 lecteurs fin 1918. Il en compte 110 000 en 1920 et 150 000 en 1923. Les anciens poilus lui restent fidèles comme lui reste fidèle à sa ligne éditoriale : informer, dénoncer et amuser, en raillant et en tournant tout en dérision.

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…Mais l’après-guerre est, économiquement, une période difficile pour la presse en général, avec la dépréciation du Franc, l’inflation et la hausse vertigineuse du prix du papier et, pour le Canard, en particulier, privé de recettes de publicité, le prix de sa vertu.

Le Canard doit aussi faire face, dès mai 1919, à un sérieux concurrent, Le Merle blanc, dirigé par un Marseillais aussi fantasque qu’extravagant, Eugène Merle.

Le Merle blanc est un hebdomadaire satirique, paraissant le vendredi, imitation du Canard Enchaîné à grande échelle, avec plus de texte, plus de dessins, plus de tout et s’appuyant sur une campagne de promotion sensationnelle.

Merle claironne en vendre 800 000 exemplaires en 1922, lance d’autres journaux, comme Froufrou (1922) et Paris-Soir (1923) et devient une figure du tout Paris.

Surtout, Maréchal, abasourdi, observe que, non content de lui prendre des lecteurs, le Merle blanc débauche bon nombre de ses collaborateurs, à commencer par Deyvaux-Gassier, son co-fondateur. Mais Merle, atteint de la folie des grandeurs et piètre gestionnaire, finit par sombrer avec son journal en 1927. Un soulagement pour Maréchal…

Par ailleurs, d’autres initiatives, prises par Maréchal, vont avoir des conséquences néfastes sur les finances déjà fragilisées du Canard. D’abord les échecs successifs du lancement du Quotidien de Paris, prolongement quotidien de l’hebdomadaire, et de celui du Pélican, pour concurrencer le Merle blanc.

Ensuite, l’échec du théâtre de boulevard. Fasciné par le monde du spectacle, Maréchal acquiert en 1922 l’Eden, une salle de théâtre de 1 000 places, où l’on joue la première revue du Canard enchaîné en 3 actes et 9 tableaux, revendue l’année suivante, faute de public suffisant.

Le Canard va sortir de cette passe délicate en augmentant, fut-ce avec réticence et après consultation préalable des lecteurs, son prix de vente : de 15 centimes en novembre 1918 à 25 centimes en juin 1920, puis 40 centimes en juillet 1925 et enfin 50 centimes en septembre 1926.

Il collabore étroitement avec son réseau de dépositaires et de marchands de journaux, qui agissent comme agents de propagande et de renseignements.

Il mène des campagnes publicitaires dans ses colonnes pour les abonnements.

Mais la mesure la plus spectaculaire est prise à l’automne 1923. Toujours soucieux de son indépendance financière, et refusant toujours toute publicité (à l’exception d’une pour Félix Potin dans le N° 352 du 28 mars 1923), Maréchal doit se résoudre à emprunter de l’argent à ses lecteurs, en lançant une souscription de bons de 100 Francs, remboursables après un an au taux de 7%. Les lecteurs répondent présents, faisant de l’opération un succès.

Le Canard sort des années 1920 en étant le premier hebdomadaire de gauche et l’un des journaux d’opinion les plus lus de France.

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1930/40 : Pacifisme et antifascisme
Lutte contre la montée du Fascisme

Le Canard a en effet son ancrage à gauche, avec des références intellectuelles et politiques constamment rappelées dans ses colonnes : Voltaire, Hugo, Zola, Jaurès, Anatole France, la Commune… Ses cibles : Poincaré, Tardieu, le préfet de police Chiappe, le bloc national, les ligues, journaux

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…et partis nationalistes. Ses combats : la décolonisation (guerre du Rif, Indochine, Éthiopie…), le Front populaire, l’Espagne républicaine, la lutte contre le fascisme qui gangrène l’Europe et même le Japon. Ses alliés : l’Humanité, le Syndicat National des Instituteurs, la Ligue internationale des combattants pour la paix. 

Néanmoins, cet engagement ne se veut pas partisan, même si les affinités et amitiés politiques de la rédaction – ou de ses membres les plus influents – peuvent donner à penser que l’impartialité du Canard s’arrête là ou commencent ses convictions politiques.

Ainsi, le soutien apporté tant au Cartel des gauches en 1924 qu’au Front populaire en 1936 est mesuré et toujours de courte durée, le Canard regrettant dans les deux cas les promesses non tenues, les demi-mesures, le manque de courage politique, voire les renoncements.

Il n’est en aucun cas un journal de gouvernement.

Il monte impitoyablement au créneau pour combattre l’extrême-droite et les mouvements factieux (Croix de Feu du colonel de La Rocque, Action française de Maurras, Parti Populaire Français de Doriot…), s’agissant des émeutes du mardi 6 février 1934, de l’agression de Blum en février 1936 ou du suicide de Salengro en novembre 1936.

La bande à Maréchal est surtout composée d’indécrottables pacifistes, aussi intransigeants qu’incrédules, et refusant de vivre un nouvel avant-guerre, alors que Verdun était encore dans toutes les mémoires. Pierre Scize, remercié en 1933 pour avoir reçu la légion d’honneur (à moins que ce ne soit pour son renoncement au pacifisme intégral un an plus tôt ou son entrée à Candide), ne voit en Hitler « qu’une baudruche, un tyran d’opérette, dont l’antisémitisme n’est que poudre aux yeux, qu’il n’osera jamais mettre en œuvre » (N° 807 du 16 décembre 1931).

Tragique aveuglement sur l’évolution du nazisme en Allemagne, qui perdurera jusqu’en 1939.

La guerre civile espagnole devient le seul conflit pour lequel certains journalistes du Canard envisagent de se départir de leur pacifisme intégral.

Cela crée en septembre 1936 une fracture profonde au sein de la rédaction, tiraillée entre partisans de la livraison d’armes pour soutenir les républicains contre Franco (comme le rédacteur en chef Pierre Bénard) et fervents de la neutralité dans ce conflit (comme Galtier-Boissière, qui quitte le Canard dix mois plus tard, suivi d’Henri Jeanson).

Le tout, sauf la guerre, continue de prévaloir et les accords de Munich, avec l’Allemagne, sont accueillis avec soulagement et aussi un peu de honte.

« Il n’y a pas de quoi se vanter » écrit Bénard le 12 octobre 1938 (N° 1163). La signature du pacte germano-soviétique scelle définitivement l’échec des pacifistes de 1940, plus patent encore que celui de ceux de 1914.

La France déclare la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.

Anastasie est de retour et sévit à nouveau, sous la férule de Jean Giraudoux.

Avec l’invasion allemande, il faut arrêter la parution du journal. Le N° 1249 du 5 juin 1940, réduit à un simple feuillet recto verso, est le dernier paru avant l’occupation. Le Canard entre en hibernation pour 4 ans et 3 mois…

Pendant cette décennie, le Canard réussit son titre le plus célèbre et le plus cité : « Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant » (N° 915 du 10 janvier 1934). Il sort son numéro 1 000 le 28 août 1935 et fête ses 20 ans. Son tirage hebdomadaire moyen atteint un pic de 275 000 exemplaires en 1936, le plus fort de la presse hebdomadaire de gauche.

En juin 1940, Maurice et Jeanne Maréchal se sont réfugiés en zone libre, à Clermont-Ferrand, ou ils espèrent, avec quelques journalistes qui les ont rejoints, reprendre la publication, en vain.

Maurice Maréchal meurt d’un cancer le 15 février 1942 à 59 ans, dans un hôtel de Vichy.

« Il est mort confiant de ne pas disparaître tout à fait, puisqu’il avait gardé la certitude que le journal qu’il avait fondé lui survivrait. Ce journal, c’était son esprit. S’il n’écrivait pas tous les articles, il les inspirait tous ».

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Libération : 1944/46
Libération et brillant redémarrage

L’hommage ci-dessus est écrit par Bénard dans le N° 1250 du 6 septembre 1944, le premier paru à la Libération. En une, sous le titre, à gauche, au nom de Maurice Maréchal est désormais accolé le terme de Fondateur.

Jeanne, sa veuve, a repris la palme.

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Elle crée une société civile qui possède le titre « le Canard enchaîné » et une société anonyme « Les Éditions Maréchal-Le Canard enchaîné » qui l’exploite, édite et vend l’hebdomadaire. Elle garde la majorité du capital (initialement un million de Francs) et, conformément aux volontés de son mari, elle distribue le reste des actions à des collaborateurs permanents et anciens du journal.

Ainsi, le capital reste entre les mains du personnel du journal.

L’équipe du Canard est réduite au moment de sa reparution : certains n’ont pas pu encore rejoindre Paris, d’autres ont perdu leurs signatures en trempant leurs plumes ou leurs crayons dans la presse collaborationniste (Guérin, Rivet, Bour, Pruvost, Pedro, Dubosc, Frick, Picq). En revanche, Jeanson, dédouané, récupère la sienne.

En cette période d’épuration, le Canard n’échappe donc pas au débat passionné entre ceux qui plaident pour que justice soit faite (comme Camus) et ceux qui en appellent à une divine clémence (comme Mauriac). Le Canard prend le parti du premier, un peu de juste pénitence avant le pardon des offenses.

La Libération consacre le Canard comme l’un des symboles de la liberté retrouvée.

Paul Meurisse, interprétant le personnage du résistant Pierre Brossolette dans L’Armée des ombres de Melville, dit juste : « pour les français, la guerre sera finie quand ils pourront lire le Canard enchaîné ».

Ils ne s’en privent pas et, malgré les restrictions et les pénuries, les ventes s’envolent pour atteindre un tirage record de 646 000 exemplaires en juin 1946.

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1947/53 : Guerre froide
Des temps difficiles

Après l’euphorie de la Libération, la presse française connait des temps difficiles, notamment celle issue de da la Résistance. A cette presse fortement politisée et animée d’un louable mais contraignant souci moral, le public préfère désormais une presse plus insouciante, moins prêcheuse.

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…La presse d’information prend le pas sur la presse d’opinion.

Surtout, le déclenchement de la guerre froide en 1947 accentue cette tendance et éloigne des journaux à contenu trop directement politique des lecteurs adeptes d’une information plus distrayante qu’engagée.

Le positionnement du Canard est inconfortable dans ce contexte politique fortement bipolarisé. La rédaction revendique son droit de ne pas choisir, affiche son neutralisme et tente de maintenir l’équilibre entre les 2 camps antagonistes.

Il ne veut ni de la « gentille peste » capitaliste ni du « mignon choléra » communiste, ni du « mur d’argent », ni du « rideau de fer ».

Le nouveau rédacteur en chef Ernest Raynaud, dit Tréno, se désole, dans le N° 1411 du 5 novembre 1947, que l’on ne puisse plus « s’arrêter pour faire un brin de causette avec l’instituteur socialiste sans que le métallo communiste ne vienne vous tirer par les basques : Hé camarade, attention ! Vous vous compromettez avec le parti américain. Et si l’on boit un coup avec le métallo communiste, on vous crie de toutes parts : Alors quoi, vous êtes du parti russe ? ». 

Bilan : le Canard perd des lecteurs des deux côtés (mais probablement davantage sur sa gauche que sur sa droite).

Le clivage affecte aussi sa rédaction, suspectée, ce n’est pas un fait nouveau, de philo-communisme.

Jeanson démissionne en avril 1947 pour protester contre ce qu’il croit être la mainmise du Parti Communiste sur le journal, suivi de Sennep. Puis, ce sont Martial Bourgeon (surnommé l’œil de Moscou par Galtier-Boissière), en 1948, et Jean Effel, en 1949, deux communistes revendiqués, qui quittent le navire, pour la raison inverse, « orientation pro-américaine » ou « dérive atlantiste » du Canard.

Tréno rompt les liens avec l’Humanité et fait preuve de vigilance critique envers le communisme et surtout le régime stalinien, dont il évoque les camps de concentration dès le 14 janvier 1948 (N° 1421).

De 1946 à 1953, le tirage hebdomadaire moyen du Canard baisse continuellement pour retomber à 103 440 exemplaires. Les résultats financiers sont dans le rouge, le Canard est moribond.

Quelques journalistes filent chez France-Soir. Cela attise la convoitise de la société d’édition Franpar, filiale presse du groupe Hachette, qui formule une offre d’achat à Jeanne Maréchal, qui la repousse.

Dans ce marasme, Tréno devient le gardien du temple et l’équipe se serre la ceinture.

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N° 1933 – 6 Novembre 1957 - 25,00 €

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Décolonisation et redressement : 1954/57
Regain de popularité

Le redressement du Canard Enchaine coïncide avec un dégel dans la guerre froide. Les lecteurs reviennent aussi du fait des guerres de décolonisation, qui aiguisent l’appétit du public pour des nouvelles en provenance de sources non officielles, mais capables d’apporter des informations fiables et originales.

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… De plus, la totale indépendance du Canard le rend particulièrement apte à recueillir une information sensible, que d’autres journaux et médias ne veulent pas, ou ne peuvent pas, diffuser. 

La guerre d’Indochine d’abord, que Tréno évoque dans une « Lettre ouverte à Ho Chi Minh » le 1er janvier 1947 (N° 1371), avant un silence de 3 ans.

C’est une guerre lointaine, oubliée, faite par des militaires de carrière, moins dénoncée pour les dommages qu’elle cause aux vietnamiens que pour les milliards qu’elle coûte en métropole et qui manquent à sa reconstruction.

Elle revient sur le devant de la scène en août 1953, alors que la défaite est presque consommée.

La paix est signée à Genève en juillet 1954 par le Président du Conseil Pierre Mendès France, le seul homme politique que le Canard ait jamais applaudi : « Nous voilà bien embarrassés. Est-ce notre faute, après tout, si nous avons enfin, au pouvoir, un homme intelligent ? D’ailleurs, qu’on soit tranquille, il n’y restera pas longtemps » (N° 1767 du 1er septembre 1954). Effectivement, le Gouvernement PMF ne dure que 7 mois.

Ensuite, et surtout, la guerre d’Algérie, beaucoup plus proche. Après un article tonitruant de Tréno le 29 juin 1955 (N° 1810), intitulé « Tuez-les » – « tuer qui ? Les huit millions d’algériens musulmans… » et visionnaire « dans un an, si ça continue, toute l’Algérie sera à feu et à sang », la rédaction du Canard, l’ensemble de la presse et l’opinion prennent conscience en 1956, avec l’envoi du contingent, que la « simple opération de police » est une véritable guerre.

Plus qu’un sujet, elle est devenue une cause.

A partir d’août 1956, reparaissent les « feuillets de route de l’ami Bidasse », qui racontent le quotidien des militaires sur place, de la deuxième classe au commandant en chef. Ces feuillets sont si bien informés que l’État-Major cherche à en identifier les sources.

Son auteur s’appelle Jean Clémentin (alias Jean Manan), 32 ans. Ancien d’Indochine, d’abord comme soldat (détaché au service d’information), puis comme journaliste, il s’est constitué un solide réseau d’informateurs.

Il fait profiter le journal de ses contacts dans l’armée et dans des groupes politiques marqués à droite, des milieux qui lui sont traditionnellement fermés et hostiles.

Il tient un rôle prépondérant dans l’évolution du Canard, d’un journalisme d’indiscrétions et de coulisses vers un journalisme d’enquête, dont il ne se départira plus et qui deviendra même sa marque de fabrique.

En 1957, Le Canard passe de 4 à 6 pages et son tirage moyen atteint 159 407 exemplaires.

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1958/69 : Mon général et le volatile
Fou du roi et garde-fou de la république

Le redressement du Canard se poursuit avec le retour de De Gaulle aux affaires en mai 1958. La personnalisation et la concentration du pouvoir qui en résultent, avec l’amoindrissement de l’espace dévolu à l’opposition parlementaire, profitent au Canard, qui s’affirme comme le journal de l’opposition par excellence

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…et fait office de « fou du roi », osant contester la toute-puissance du monarque.

De Gaulle a toujours inspiré des sentiments contradictoires aux plumes et aux fusains du Canard.

Ceux-ci ont admiré le résistant de la première heure, le héros de la France Libre. Ils respectent, ou du moins estiment, sans toujours l’avouer, sa distance par rapport aux milieux d’affaires, sa volonté d’indépendance nationale et donc son refus de jouer le supplétif des Américains.

Ils approuvent la politique qui mène – si difficilement – à la fin de la guerre d’Algérie et aux accords d’Evian. Ils ne sont pas insensibles à son panache, à sa maîtrise de la langue française, à sa culture.

Mais sa morgue, son autoritarisme, ses aspirations au pouvoir personnel, son goût prononcé pour les plébiscites, leur sortent proprement par les yeux. Son costume de sauveur providentiel, qu’il endosse avec tant de naturel sous les vivats d’une foule hétéroclite, les irrite.

Toujours est-il que, depuis Clémenceau, le Canard n’a pas trouvé meilleur inspirateur et meilleur repoussoir à la fois.

Ses dessinateurs l’ont croqué sous toutes les coutures et sous toutes les apparences : en Louis XIV, en Jeanne d’Arc, en Louis Philippe, en Don Quichotte, en Napoleon III, en « Gaulliath », en éléphant « Malabar » et même en… général !

C’est pour pasticher ce régime présidentiel aux apparences de monarchie que naît le feuilleton « la Cour » le 21 septembre 1961 (N° 2083).

Roger Fressoz (alias André Ribaud) le rédige dans le style du Cardinal de Retz, tandis que Roland Moisan dessine des décors versaillais grandioses et des courtisans à perruque. Il prend fin en juin 1969, après que le roi a abdiqué, usé par 11 ans de pouvoir et un référendum de trop.

Avec De Gaulle, Le Canard Enchaîné a trouvé un adversaire à sa mesure ; ou plutôt, il a trouvé le personnage dont la démesure offrait le plus de prise à son imagination satirique. Tour à tour indignés ou bluffés, les journalistes du Canard ont aussi bâti leurs succès sur ceux de leur ennemi de prédilection.

Cette période fut faste.

Le Canard a redéployé ses ailes (format 56 x 36) et grossi (8 pages en 1965).

Il fête son numéro 2000 le 18 février 1959 et son demi-siècle en 1965.

Triste aussi avec la disparition de « la mère du Canard », Jeanne Maréchal le 27 novembre 1967, à 82 ans, et celle de Tréno le 31 décembre 1969, à 67 ans.

Le Canard reprend des couleurs : son tirage hebdomadaire moyen repasse les 200 000 exemplaires en 1958/1959, les 300 000 en 1960/1961 pour atteindre 445 264 en 1969.

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Classe Affaires : 1970/81
Un pouvoir redouté

Fressoz succède à Tréno en janvier 1970 comme Directeur du Canard enchaîné. Grâce aux journalistes et aux informateurs entourant Clémentin, désormais corédacteur en chef en charge de la partie politique, l’hebdomadaire est devenu en une dizaine d’années un journal réputé pour la qualité de ses informations et un pouvoir redouté des cercles dirigeants.

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Une dizaine de journalistes arrive en 1970/1971, avec notamment Claude Angeli et Nicolas Brimo.

Le cap mis sur l’information exclusive et sensible est maintenu.

Le rythme et l’ampleur des révélations sensationnelles vont même s’accroitre considérablement pendant cette décennie.

Citons, successivement mais non exhaustivement : l’affaire de la Garantie foncière (1970), la feuille d’impôt de Chaban-Delmas (1971), l’affaire Aranda (1972), l’affaire des micros du canard (1973), l’affaire Boulin (1979), l’affaire des diamants de Bokassa (1979), l’affaire de Broglie (1980), l’affaire Papon (1981).

La France des années 1970 fut-elle pour autant plus crapuleuse que ses devancières ?

Ce qui change, c’est la pratique de ce journalisme d’enquête plus agressif, moins institutionnel, recourant à de nouvelles méthodes (l’usage massif de la photocopie à partir de juillet 1971 est loin d’être anodin pour produire des preuves sans même toucher aux originaux), qui contribue à abaisser le seuil de tolérance à l’indélicatesse des puissants et à lutter contre leur sentiment d’impunité.

Ce qui change aussi, c’est le caractère impitoyable et presque personnel du combat engagé contre l’exécutif.

Le respect qui entourait encore les attaques dirigées contre De Gaulle ou Pompidou a disparu, cédant la place au mépris absolu et à la détestation, que Giscard d’Estaing suscite. Le premier des « Dossiers du Canard », intitulé « Giscard, la monarchie contrariée » lui est consacré en avril 1981.

Toujours est-il que le Canard prend une nouvelle dimension. Spécialiste des scandales politico-financiers, institution nationale, sorte d’anti-Journal Officiel, jouissant d’un quasi-monopole, il est attendu chaque semaine avec anxiété par les politiques et avec gourmandise par les lecteurs anonymes.

Chiffre d’affaires, bénéfices et capitaux propres atteignent des niveaux record, portés par des pics de tirage dépassant le million d’exemplaires pour l’affaire des micros, les 900 000 exemplaires lors de l’affaire des diamants.

Le tirage hebdomadaire moyen à partir de 1974 est presque toujours supérieur aux 500 000 exemplaires.

Cet article est une compilation des ouvrages indiqués sur la page bibliographie

1981/95 : Les années Tonton
Loyauté partisane ou impartialité farouche?

1 229 574 exemplaires, c’est le nouveau tirage record suivant l’élection de Mitterrand le 10 mai 1981. Le Canard salue sa victoire, à laquelle il a sans doute contribué, mais anticipe des lendemains commerciaux et financiers difficiles, comme à chaque fois que la gauche est au pouvoir, à fortiori si cette expérience est durable.

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De fait, entre 1981 et 1985, le tirage moyen hebdomadaire chute de 37%.

Le dilemme du Canard ressurgit : loyauté partisane ou impartialité farouche ?

« Certains de nos lecteurs acceptent mal que nous publiions des informations ou des appréciations défavorables ou peu agréables pour le gouvernement de la gauche. D’autres reconnaissent qu’il est dans la nature et la fonction du Canard de publier ces informations et ces appréciations mais, comme elles les peinent, ils préfèrent ne pas les lire. D’autres enfin, tout à l’opposé, nous reprochent d’être insuffisamment critiques envers le pouvoir actuel » lit-on dans le N° 3279 du 31 août 1983 à l’heure de la publication des comptes, guère fameux, de l’année précédente.

Si parler d’avions renifleurs ou des turpitudes d’Hersant, de Le Pen, de Médecin, voire même d’un Doumeng ne pose aucun problème, les affaires des Irlandais de Vincennes, du trucage des statistiques du chômage ou du sabotage du Rainbow Warrior ont un parfum de trahison dans les rangs socialistes.

Cela entraîne des dissensions et des départs au sein de la rédaction. Fressoz réduit les coûts, augmente le prix de vente à 4 Francs en octobre 1984 et fait entrer du sang neuf avec une dizaine de journalistes et dessinateurs, dont Cabu.

Politiquement, la cohabitation en 1986, situation inédite sous la Vème république et source de curiosité pour des lecteurs occasionnels, vient à la rescousse du Canard qui retrouve des têtes de turc plus traditionnelles (Chirac, Pasqua/Pandraud, Devaquet…).

Les affaires vont bon train, tant pendant la première cohabitation que pendant le second septennat de Mitterrand.

La déception domine, l’état de raison en 1988 a remplacé l’état de grâce de 1981. Il y a moins de retenue à publier des affaires compromettantes pour le PS, au premier rang desquelles figurent Urba et – la plus grave – celle du sang contaminé.

Impossible ici de passer sous silence le suicide de Pierre Bérégovoy, Premier Ministre, mis en cause le 3 février 1993 (N° 3771) pour un prêt personnel d’un million de Francs consenti par l’affairiste Pelat, décédé, mais mouillé dans l’affaire Pechiney et intime de Mitterrand.

Comme au moment de l’affaire Boulin, le Canard subit la vindicte et la vengeance des politiques (et d’une partie de la presse) : Fabius parle « des mots qui tuent », Mitterrand « de l’honneur d’un homme livré aux chiens ».

Cas de conscience pour le Canard, qui regrette certes la fin tragique de « Béré » mais ne renie rien de son travail d’enquête, aucun des faits révélés n’ayant été démenti. Mitterrand aurait d’ailleurs fait savoir plus tard qu’il ne visait pas le Canard (?).

Respect de la déontologie et sens des responsabilités restent les piliers de la liberté de la presse, mais la limite entre vie privée et vie publique n’est pas aisée à tracer.

En 1992, Michel Gaillard remplace Fressoz, qui part en retraite et a préparé sa succession.

En cette fin de XXème siècle, le Canard compte environ 70 salariés permanents et son tirage moyen hebdomadaire oscille entre 500 000 et 600 000 exemplaires.

Cet article est une compilation des ouvrages indiqués sur la page bibliographie

Couac ! | L'histoire du Canard | « Il y a eu dans la guerre de 14-18 deux miracles,celui de la Marne dû, comme on sait, à sainte Genevièveet celui du Canard enchaîné » Henri Monier | annees tonton maintenant

N° 4345 – 4 Février 2004 - 14,90 €

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Et maintenant ? : 2000/…
Symbole de liberté et d’indépendance

Avec le XXIème siècle, nous sortons de l’histoire pour entrer dans l’actualité.
Le Canard Enchaîné a fêté ses 100 ans en 2015. Il a connu 2 guerres mondiales, 3 républiques et 16 Présidents…

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Le Canard Enchaîné a fêté ses 100 ans en 2015. Il a connu 2 guerres mondiales, 3 républiques et 16 Présidents.

Au fil du temps, le palmipède est devenu un champion du journalisme d’enquête, un spécialiste des révélations de scandales politico-financiers, un flambeau de vérité, un instrument de justice, un symbole de liberté et d’indépendance de la presse.

Cette indépendance, obsession de Maurice Maréchal depuis sa création, est préservée grâce au développement de ses ventes et à des coûts de fabrication modeste, qui lui ont permis d’amasser des réserves financières sans jamais publier de publicité.

Le Canard centenaire représente l’une des histoires les plus remarquables du journalisme moderne. Son histoire improbable trace un chemin singulier à travers la vie politique et culturelle française, tandis que sa santé financière suggère un modèle à contre-courant pour les journaux luttant pour leur survie, qui évite les stratégies à forte intensité de capital, axées sur la croissance et obsédées par la technologie.

Toujours frondeur, irrespectueux, râleur, mais sans se départir de son ironie et de son humour. C’est l’esprit Canard, avec son langage de connivence, pour des lecteurs complices.

Il reste ancré à gauche mais se veut sans esprit partisan.

Le 25 mars durant la pandémie liée au COVID, le journal sort pour la première fois en version numérique (n°5185) après la mesure de confinement en France, afin d’assurer le relais des diffuseurs mis en difficulté pour l’abonnement papier et la livraison dans les magasins de presse.

Le Canard enchaîné d’aujourd’hui est un journal 3 en 1 : journal d’information, d’opinion et satirique. Il possède un contenu très riche, très dense, avec de la politique, des dessins satiriques, des critiques de livres et de spectacles, des billets d’humeur, des portraits et des enquêtes. Tout pour viser et séduire un public large, éclectique et renouvelé.

Souhaitons-lui longue vie, de garder sa liberté de ton et de continuer à distribuer, avec objectivité, de solides coups de bec, pour le plus grand plaisir des habitués du mercredi matin, dont je fais partie depuis 45 ans.

SP

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