N° 2899 du Canard Enchaîné – 19 Mai 1976
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L’affaire Ceccaldi
Mai 1976 : Étienne Ceccaldi, substitut à Marseille, spécialiste des ententes pétrolières et de la grosse fraude fiscale, est « promu » procureur à Hazebrouck, bourg sans grande délinquance économique. Dans « Les mutés du sérail » et « L’affaire Ceccaldi – Hazebrouck », Jean Manan et Nicolas Brimo montrent comment cette promotion-sanction vise à éloigner un juge qui fouillait trop près des caisses noires et des compagnies de fuel. Pendant qu’on mutile la section financière de Marseille, un petit commerçant se suicide après un contrôle fiscal. Moral giscardienne : exonérons les P.D.G., sus aux épiciers… et aux juges curieux.
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Les juges qui en savaient trop
En mai 1976, la « société libérale avancée » de Giscard découvre un nouveau verbe : « hazebroucker ». Comprendre : expédier en promotion disciplinaire un magistrat trop curieux. Au centre du cyclone, Étienne Ceccaldi, substitut à Marseille, spécialiste des affaires financières, qui fouille depuis des années dans les ententes pétrolières et la grande fraude fiscale du Midi. Quand il refuse de couvrir d’un non-lieu les combines des compagnies de fuel mises en cause par le revendeur Bodourian, la Chancellerie lui offre un exil doré… à Hazebrouck, 20 000 habitants, vols de lapins et bicyclettes en prime. (Le Monde.fr)
Jean Manan, à la une avec « Les mutés du sérail », et Nicolas Brimo, dans « L’affaire Ceccaldi – Hazebrouck » en Mare aux Canards, dissèquent ce grand art giscardien de la sanction déguisée en avancement. Vu de Paris, on explique doctement que Ceccaldi est « promu » procureur. Vu du Canard, on comprend surtout qu’on éloigne fissa un magistrat qui s’obstine à s’intéresser aux 80 milliards de francs qui échappent au fisc dans la seule région marseillaise.
Le juge qui dérange la pompe à essence
Manan rappelle que Ceccaldi n’en est pas à son coup d’essai : à Lyon déjà, il avait contribué à coincer quelques gros faussaires avant d’être discrètement déplacé. À Marseille, sa section financière commence à faire mal aux beaux quartiers : drogue, fausse monnaie, mais surtout fraude fiscale de grande échelle, comme l’affaire du Comptoir métallurgique de La Courneuve, où les fausses factures permettent de gaver la caisse noire du parti au pouvoir et les tiroirs de quelques services spéciaux.
Trop, c’est trop. Au lieu de renforcer la section financière, on la démantèle, on disperse flics et magistrats, on expédie Ceccaldi au Nord, loin des raffineries et des compagnies pétrolières. Brimo raconte comment, dès que « l’affaire Ceccaldi » éclate, les couloirs de la place Vendôme se vident comme par magie : plus un magistrat « volontaire » pour reprendre le dossier marseillais. On comprend qu’on risque sa carrière à trop regarder les factures des pétroliers. (Le Monde.fr)
Exonérons les P.D.G., sus aux épiciers
Pendant qu’on « hazebroucke » les juges gênants, le pouvoir se donne des airs de vertu fiscale. Manan déroule la fable : d’un côté, les grandes affaires de fraude – carburants, acier, caisses noires – dorment depuis 1963 dans les tiroirs de l’instruction. De l’autre, un malheureux marchand de fruits et légumes de Paris, M. Voisin, se suicide après un contrôle fiscal trop zélé. Et voilà le ministre des Finances Jean-Pierre Fourcade qui sermonne les journaux : « la fraude fiscale est une grave plaie sociale de notre pays ».
Le résumé que propose Manan tient en une ligne : « exonérons les pédégés et sus aux épiciers ! » Le contraste est cruel : quand il s’agit du Comptoir métallurgique ou des ententes pétrolières, on freine, on mute, on enterre. Quand il s’agit d’un petit contribuable, on serre les boulons jusqu’au drame.
La « promotion » qui tourne à la fronde
Brimo, lui, s’amuse à suivre les contorsions de Jean Lecanuet, garde des Sceaux. Le ministre jure que la mutation n’a rien à voir avec les affaires pétrolières, qu’il s’agit d’une simple « gestion des carrières ». Problème : tout le monde a vu Ceccaldi apparaître à la télévision comme le juge qui n’a pas peur des compagnies de fuel. Difficile de faire croire à une coïncidence.
Dans les coulisses, l’affaire Ceccaldi provoque une levée de boucliers inédite : le Syndicat de la magistrature menace d’appeler à la grève si des poursuites disciplinaires sont engagées, et même les magistrats modérés se mettent à parler d’indépendance de la justice. (Le Monde.fr) La « promotion » se transforme en symbole de l’ingérence politique dans les dossiers sensibles. Être « hazebroucké » devient le cauchemar de tout juge qui fourre trop le nez dans les finances des amis du régime.
Manan clôt sa fable par un petit conte : un duc fringant demande à un maraud comment va la société libérale. « Elle avance, elle avance… », répond le butor. Avec Ceccaldi, elle avance surtout à reculons : on proclame la lutte contre la fraude tout en priant les magistrats trop zélés de monter au Nord surveiller les vols de vélos.





